Jean-Louis Panicacci, Rafraîchisseur de mémoire

Spécialiste de la Seconde Guerre Mondiale dans le département et en particulier de l’occupation italienne, le président du Musée de la Résistance azuréenne fait la guerre à l’oubli.

Dans les nouveaux locaux du Musée de la Résistance azuréenne, à l’Arénas, Jean-Louis Panicacci, passe en revue les différentes vitrines, rajuste un panneau dont une attache a cédé, prend des notes sur ce qu’il pourrait ajouter pour captiver encore un peu plus ses visiteurs. Ce musée, dont il est le président, est un peu sa maison. Sa vie, aussi. La Seconde Guerre mondiale, la Résistance… Cette période-là n’a quasiment pas de secret pour lui, surtout localement. Et pour cause : comme il le dit, ce Niçois est « comme Obélix, tombé tout petit dans la “marmite” magique ».

Professeur honoraire à l’université de Nice, président du jury départemental du Concours de la Résistance, responsable de la commission historique et organisateur du Festival du Film sur la Résistance, qui accueillie 2500 à 3000 spectateurs chaque année (dont 2000 scolaires), Jean-Louis Panicacci puise son intérêt, sa fascination, sa passion pour cette période, dans son histoire familiale.

Un père et un grand-père résistants

« Mon père, mais aussi mon grand-père paternel dans une autre région, ont participé à la Résistance. Concernant mon père, il était au sein du MNRPGD (Mouvement national de résistance des prisonniers de guerre et déportés) présidé au niveau national pat François Mitterrand-Morland et au niveau départemental par Pierre Merli-Nikli », raconte avec pudeur Jean-Louis Panicacci, qui a toujours préféré parler de l’Histoire, que de sa propre histoire. Et pourtant. Depuis des années, il nourrit l’intérêt de ses interlocuteurs à travers les anecdotes et les histoires de vie des hommes et des femmes qui ont fait la grande Histoire. Et celle de son père en fait partie : « Après son évasion d’Allemagne en juin 1941, il a rejoint cette organisation regroupant des prisonniers de guerre évadés ou rapatriés sanitaires et il fabriquait, au sous-sol de la Maison du Prisonnier, avenue Malausséna, des faux-papiers pour ceux qui étaient en situation irrégulière, surtout en 1943, après l’invasion de la zone libre ». Dans un souffle, il évoque une certaine amertume ressentie après la Libération, de voir certains très rapidement décorés, alors que son père n’aura jamais vu sa décoration.

« Certains, qui avaient vécu longtemps cachés, sont sortis du bois dans les derniers jours. Leurs relations, leurs amis, ont fait qu’ils ont été traités en héros et très vite distingués. La décoration de mon père, elle, est arrivée après son décès ».Mais de nuancer : « Bien sûr, il n’a pas fait tout cela pour avoir une médaille ! Ce n’était pas son but. C’est jute que pour moi, à l’époque, c’était assez difficile de voir ça…»

Transmettre l’histoire et des valeurs

Mais l’important pour Jean-Louis Panicacci est de transmettre. L’Histoire, les histoires, les destins. Des valeurs aussi. Chercher, vérifier, faire en sorte que les vrais héros, aussi, ne soient pas oubliés. Naturellement, il embrasse une carrière d’historien enseignant-chercheur dont la matière principale est la Seconde Guerre mondiale. Auteur en 1967 d’un Diplôme d’Études Supérieures d’Histoire sur Nice de 1939 à 1942, puis en 1970 d’une thèse de 3e Cycle d’histoire sur Nice de l’occupation italienne à la fin de la Seconde Guerre mondiale, enfin en 1986 d’une thèse d’État ès Lettres sur Les Alpes-Maritimes de 1939 à 1945, Jean-Louis Panicacci a été professeur de lycée à Rouen, Aix-en-Provence, Fréjus, Antibes et Nice de 1969 à 1994, chargé de cours en histoire contemporaine à l’UFR Lettres de Nice de 1985 à 1994 avant d’être recruté comme maître de conférences (1994-2007) et directeur de recherche au CMMC (où il supervisera 121 mémoires de Maîtrise, de DEA et de thèses portant sue l’histoire régionale, les lieux de mémoire, le cinéma, le sport, le traitement de périodes historiques critiques dans les manuels du Secondaire).

Dans son musée, qu’il a fallu réorganiser après son déménagement de Nice la plaine à l’Arénas, il y a un peu plus d’un an, il continue d’entretenir les mémoires, voire de les rafraîchir, en essayant toujours de captiver le visiteur.

8000 pièces d’archives

Parachutes, containers, armes, casques, uniformes, systèmes de sabotage des voies ferrées, systèmes de transmission de la clandestinité, œuvres artistiques, documents anciens originaux, photos d’époque… Le visiteur a de quoi replonger 80 ans en arrière. Sans compter les journaux de l’époque, et un fonds de 5000 volumes et 500 Dvd consultables sur place ou empruntables. « Et on a 90 m² de réserve où on stocke nombre de panneaux, documents, objets, armes… Au total, on a environ 8000 pièces d’archives. Et une photothèque qui compte environ 800 documents ». Son équipe et lui s’occupent de tout mettre en musique. avec une exposition permanente, et une expo temporaire qui change tous les 6 mois. Depuis le 6 juin, celle-ci concerne le débarquement de Provence. « Ici, c’est beaucoup plus ouvert et lumineux qu’à la Plaine. Mais avec toutes ces surfaces vitrées, on ne peut plus accrocher autant de panneaux, donc on a dû se réinventer… 80% de ce que vous voyez là n’existaient pas là-bas ! On a mis des grilles pour faire des cheminements et pouvoir accrocher dessus des panneaux. Il faut être inventif… Mais nous avons vraiment de bons retours… Tous les visiteurs estiment que c’est très bien conçu, alors… On accepte les compliments », sourit-il.

3000 visiteurs en 14 mois, un renouveau

D’autant que ce déménagement a provoqué une évolution positive de la fréquentation : « il faut le dire : nous avons 5 fois plus de visiteurs ici dans ces nouveaux locaux, que là-bas. En 14 mois, nous avons eu 3000 visiteurs. Beaucoup de jeunes. Et c’est appelé à s’accentuer, car nous avons un certain nombre de visites scolaires, que nous allons développer avec le Secondaire…» annonce Jean-Louis Panicacci.

« Nous recevons entre 6 et 700 élèves par an. Et bientôt nous aurons aussi plusieurs centaines d’élèves du Secondaire ». La jeunesse : un objectif, pour perpétuer, aussi, la mission du musée. « Il faut un peu se renouveler, attirer des jeunes au sein de notre association des Amis du Musée de la Résistance azuréenne… On a presque tous plus de 70 ans, et certains plus de 80… C’est vrai que ça demande du temps, pour des tâches hebdomadaires… Mais cette année, on a eu une quinzaine d’adhésions en plus, dont 6 personnes en activité. Une nouvelle dynamique est en train de se mettre en place… »

Nice Magazine n° 23, juillet-août 2024, pp 43-44

3 bonnes raisons d’aller au musée de la Résistance

Installer depuis peu à L’Arénas, le nouveau site dédié à la Résistance azuréenne est, à lui seul, un cours d’histoire sur cette sombré période. Avec objets d’époque, documents, expositions.

A l’occasion de la Journée nationale de la Résistance, hier, on inaugurait le nouveau site du musée de la Résistance azuréenne. Après avoir été hébergé au 117, avenue Simone-Veil, dans les locaux appartenant à la Région, le musée a dû trouver une nouvelle adresse. C’est fait, depuis janvier, à L’Arénas, au rez-de-chaussée de l’immeuble Le Phare, place des Mosaïques. Géré par l’Association azuréenne des amis du musée de la Résistance, que préside Jean-Louis Panicacci, professeur honoraire à l’Université de Nice, le musée est désormais installé sur 263 m² de plain-pied. C’est moins que dans la plaine du Var, mais avec une autre disposition, plus lumineuse, plus visuelle. Un écrin fonctionnel dédié à la conservation du souvenir et au devoir de mémoire à transmettre aux plus jeunes. On vous explique comment.

1. L’esprit et les actes

Deux espaces abritent un fonds retraçant l’esprit et les actes de la Résistance. Qu’y découvre-t-on ? Tout sur cette sombre période : De Gaulle et la France libre, Jean Moulin dans les Alpes-Maritimes., René Cassin, le camp de concentration de Sospel, la villa Lynwood, à Cimiez, qui était un lieu de torture, les casemates construites par les Allemands le long du littoral, des flashs sur la vie quotidienne sous l’Occupation avec la disparition des l’essence, l’apparition des longues files d’attente, les tickets d’alimentation et les cartes de rationnement, un mannequin maquisard, un autre en agent de liaison au féminin. Tout est d’époque : armes, vêtements, sacoches, vélo, containers… On n’a pas oublié l’imprimerie clandestine, la vitrine sur le sabotage ferroviaire, les combats dans la région jusqu’à l’insurrection de Nice, la présence américaine… Tout est extrêmement fouillé, précis, expliqué, riche. 

2. Un centre de documentation précieux

Tout est parfaitement ordonné, mis en scène. Mais c’est la partie visible de l’iceberg. Dans les placards à coulisses s’alignent 2000 volumes ; 3000 autres attendent à la cave d’être feuilletés. Des ouvrages historiques, des biographies, des essais, des poésies… Plus 800 photos et 500 DVD. Tout peut être consulté sur place ou emprunté à condition d’être adhérent de l’Association azuréenne des amis du musée de la Résistance. Le plus, c’est la présence de Jean-Louis Panicacci, d’une érudition incroyable mas très abordable et très compréhensible. On peut lui poser toutes les questions. Maquisards, nazis, exécutions, Libération… Il a réponse à tout.

3. Des présentations qui bougent

A côté de l’exposition permanente, vivent des expositions itinérantes, dont celle, incontournable, sur « Jean moulin et le Centre national de la Résistance ». Une quarantaine d’ouvrages et revues évoquent le préfet fondateur du CNR (1899-1943), dont c’est l’année, torturé à mort par la Gestapo. A voir jusqu’à la fin de l’été avec la certitude d’en apprendre beaucoup sur ce personnage: « Nous sommes les seuls à avoir autant d’élément concernant Jean Moulin au niveau bibliographique », affirme Jean-Louis Panicacci. Une autre exposition aura lieu entre juin et octobre 2024 sur la Libération en attendant celle sur la déportation et la libération des camps de concentration en mars-mai 2025.

Christine Rinaudo​, Nice-Matin, 28 mai 2023, p 7